Lors de notre assemblée générale, le 28 juin dernier, nous avons proposé aux participants une conférence un peu particulière, grâce à la technique d’animation dite du « fishbowl ». S’est alors organisée une sorte de discussion à grande échelle entre les représentants des familles de l’ESS et les membres du CJDES. En voici le résumé !
Avant de parler du fond, parlons du Fishbowl !
En apparence, trois intervenants, un auditoire. Dans les faits, un espace de discussion central, ouvert à toute personne qui souhaite prendre la parole. Chaque personne peut alterner : intervenir au centre, repartir dans l’auditoire, revenir au centre… C’est le format « fishbowl ».
Si nous avons fait le choix de cette technique d’animation c’est qu’elle nous permet de gommer la distinction entre les « sachants » et « les autres ». Cela évite aussi la frustration des quelques minutes accordées aux questions de la salle, en fin de conférence. En effet, ces écueils ne sont pas adaptés à ce qu’il nous semble devoir être un dialogue dans l’ESS.
Cette conférence a été une réussite et nous remercions nos invités qui ont joué le jeu à 100%.
D’une thématique nous sommes passés à deux, et vous comprendrez pourquoi.
Nous avons eu le plaisir d’accueillir trois invités, représentants des trois familles de l’ESS :
- Thierry Beaudet, président de la mutualité française
- Jean-Louis Bancel, président de CoopFR
- Philippe Jahshan, président du mouvement associatif
Profitant de la présence des trois « familles » de l’ESS, nous voulions leur demander « Comment faire mouvement dans l’ESS ? »
Mais… Trois invités, trois hommes… la question de la parité s’est imposée d’elle-même. Nous avons donc fait le choix d’un deuxième thème. « Comment favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoir dans l’ESS ? »
Mais poser la question ne suffit pas. La présence de figures féminines dans les interventions publiques est aussi un élément moteur qui fait évoluer les mentalités et progresser le débat de l’égalité. C’est là où le choix de l’animation a également été important pour nous. Le Fishbowl, et le principe selon lequel tout le monde est intervenant, est aussi une manière de donner la parole aux femmes autant qu’aux hommes.
Les principaux enseignements du débat
Les débats ont été riches.
Thème 1 : Egalité femmes/hommes, comment favoriser l’accès des femmes à des postes de pouvoirs dans l’ESS ?
Les participants ont partagé un double constat. Nous aurions tort de croire que les valeurs de l’ESS la protégerait contre les stéréotypes de sexes ; et tout progrès de l’égalité femmes-hommes ne pourra se faire que s’il existe une volonté forte des acteurs et des pouvoirs publics.
Tout au long des débats, cinq grandes idées sont ressorties.
- Les jeunes générations sont plus sensibles à la question de l’égalité femmes-hommes. C’est une question qui progresse dans le débat et dans les consciences. Il y a une première question qui est celle du temps long. L’éducation est cruciale pour déconstruire les stéréotypes et provoquer des changements culturels. Toutefois, comme le note une intervenante, « constater que les évolutions prennent du temps n’empêche pas de vouloir accélérer les changements » !
- Sensibiliser et former ne suffit pas. Il y a également des transformations à apporter dans l’organisation même de nos formes d’engagements et des codes militants. Le format d’une réunion, l’organisation des temps (autour de la parentalité notamment), les critères d’attribution de responsabilités sont autant d’exemples dont la réussite repose sur des codes stéréotypés qui amènent à penser, consciemment ou inconsciemment, l’exercice du pouvoir comme quelque chose relevant de « facultés masculines » ;
- L’égalité femmes-hommes peut s’obtenir par la capacité à prendre des mesures respectant un équilibre entre sensibilisation/formation et contraintes. Plusieurs participants ont démontré comment les règles contraignantes, fixées dans la loi ou les statuts de nos organisations ont indéniablement amélioré la place des femmes. La règlementation a joué un double rôle : faire évoluer les pratiques et participer à changer les mentalités en forçant la visibilité des femmes dans les espaces de pouvoir ;
- Le parcours d’accès aux responsabilités est à repenser. Si nous voulons qu’au plus haut niveau de responsabilité des femmes soient élues ou nommées, il faut aussi s’assurer qu’à tous les échelons les femmes accèdent aux responsabilités. Certaines situations aberrantes montrent une écrasante majorité de femmes militantes et des postes de décisions occupés uniquement par des hommes. Cela pose la question des parcours militants, de leur logique de cooptation et du modèle politique ;
- Enfin, plusieurs participants ont souligné que l’accès aux instances de décision ne suffit pas. La considération des femmes dans ces instances est également primordiale. Par considération, les participants désignent autant la place qui leur est accordée (avoir la parole, ne pas se la faire couper,…) que la condamnation nécessaire des comportements et remarques déplacés. Face à des comportements sexistes, certaines femmes abandonnent.
Thème 2, comment faire mouvement dans l’ESS ?
Une idée a fait consensus « l’ESS est un beau bazar » !
Blague mise à part, pour le CJDES, l’ESS est d’abord un mode d’entreprendre qui a pour point commun de proposer une alternative démocratique à l’économie classique. Pourtant, l’ESS peine à se fédérer et à parler d’une seule voix pour développer le modèle. Elle ne parvient pas à « faire mouvement ». Qu’en pensent les représentants de trois familles : mutuelles, associations et coopératives ?
Les participants se sont retrouvés sur un constat. L’ESS est diverse et les formes juridiques et démocratiques de ses composantes ne sont pas toujours compatibles. Elles ne partagent pas toujours les mêmes enjeux, ne sont pas soumises aux mêmes réglementations et n’ont pas les mêmes modes de gouvernance. Pour autant, les composantes de l’ESS se retrouvent sur des fondamentaux, des idées et des valeurs. Faire mouvement c’est donc d’abord se connaitre, assumer les désaccords quand il y en a, et s’imaginer ensuite comme un collectif avec une certaine vision de la société et de l’économie.
La question de l’économie a également fait débat. Doit-on garder le nom ESS qui s’ouvre d’abord sur une dimension économique ? Il est vrai que pour une partie des acteurs de l’ESS leur activité n’est pas considérée comme économique au sens où leurs activités ne sont pas définies par la production, la distribution ou la consommation de biens et de services. Mais plusieurs participants ont également souligné l’enjeu de préserver ce terme « économie » qui, associé à la valeur de démocratie, montre que l’économie est politique avant d’être une question technocratique. Ils soulignent que la démocratie dans l’économie n’est pas seulement une question de valeurs, mais également un enjeu d’efficacité et de qualité. Nombre de personnes s’engagent dans l’ESS en « prolongation » de leur engagement citoyen ou politique.
Enfin, l’un des enjeux de faire mouvement est peut-être de se fixer des règles communes et de décider ensemble des standards que nous voulons comme références.
A nous de jouer. Laure Delair, nouvelle présidente du CJDES conclut « retrouvons-nous sur un enjeu commun pour faire mouvement ensemble : faire de l’ESS, de l’économie, un espace d’expression et d’exercice de la citoyenneté ».