A l’occasion, ce mardi 12 juin, de la présentation de sa nouvelle plateforme de recrutement en ligne, DiversifiezVosTalents.com, qui se « basera sur le savoir-faire et le savoir être des candidats des quartiers », Saïd Hammouche, président fondateur du cabinet Mozaïk RH (1), membre du Conseil présidentiel des villes, évoque ses outils et sa vision de la diversité liée à l’origine.
Liaisons Sociales : Quels sont les aspects novateurs de cette plateforme ?
Saïd Hammouche : Il s’agit de proposer une nouvelle approche dans la lutte contre les discriminations, dépasser la pratique un peu trop fondée sur l’étude du CV. Un changement de cap que nous soumettons aux entreprises, aux recruteurs : proposer des profils nouveaux, originaux, issus principalement des quartiers populaires, que nous avons sélectionnés au préalable, via des test de personnalité, puis intégrés dans une base de données. Nous utilisons ensuite un algorithme inédit de matching développé par Data4job, pour faire le lien entre les profils pertinents et les offres d’emploi disponibles sur la plateforme. Les corrélations s’effectuent automatiquement et la mise en relation se fait entre les recruteurs et les candidats. C’est une innovation fruit de 10 ans d’expérience auprès des DRH et des professionnels du recrutement et un outil pensé pour eux.
L S : En quoi consistent ces tests de personnalité ?
S. H. : Les candidats s’inscrivent, puis passent une évaluation réalisée par des experts de la psychologie du travail et de l’analyse des données. C’est la phase de découverte du candidat. Les outils sont déjà utilisés par des cabinets de recrutement, mais là, l’unité de mesure devient la liste des qualifications nécessaires, fournie et élaborée par les entreprises et non plus seulement le CV, l’origine sociale, la ville, etc… Or, on sait que l’étape du CV est l’un des facteurs discriminants. Comme l’accès à l’information, c’est important dans un pays qui fonctionne encore malheureusement beaucoup à l’activation ou la création d’un réseau, la cooptation… Là, il s’agit de sauter une étape, avec l’algorithme qui traite la base de données et qui va pousser les potentiels ciblés vers les demandeurs. La plateforme se basera avant tout sur le savoir-faire, le parcours, en quelque sorte, et le savoir être des candidats, les soft skills. Les candidats recevront un bilan complet de leur profil personnel, pour mieux se positionner sur le marché.
LS : Plusieurs acteurs évoquent des limites quant à la fiabilité ou la neutralité des algorithmes dans les process de recrutement…
S. H. : On dit que l’intelligence artificielle va retenir les discriminations, mais j’ai envie de penser que l’on peut déjouer les biais de la discrimination, remettre aussi de l’humain dans les nouvelles technologies : avoir de meilleures bases de données, plus justes, moins discriminantes, c’est possible. Quelque part, c’est un peu la continuité du CV anonyme. J’ai toujours dit à ce propos, qu’il fallait éventuellement le tester, laisser celles et ceux qui voulaient l’expérimenter. Mais je n’étais pas forcément très chaud, car pour moi, cela revient toujours à cacher l’humain. Or, quand on voit en entretien, un candidat préparé, motivé, sans problème de savoir-être, qui s’exprime bien, on ressort confiant. Il y a 10 ans, on avait innové sur le CV vidéo pour illustrer cet aspect-là. Au contact des nouvelles générations et des évolutions technologiques et sociétales, on essaye de s’adapter.
L S : Comment l’algorithme favorise-t-il l’égalité des chances ?
S. H. : L’algorithme de Data4Job a été adapté aux besoins du projet à partir de l’expérience de Mozaïk RH dans le domaine du recrutement des diplômés de la diversité. Nous avons choisi avec Data4job les pondérations des critères de l’algorithme en tentant au mieux de déjouer les biais de discrimination à l’embauche. Cet algorithme n’évoluera pas tout seul : nous analyserons les retours des utilisateurs pour l’améliorer au fur et à mesure, en visant toujours la satisfaction des recruteurs, des candidats et la lutte contre les discriminations.
LS : Outre cette nouvelle plateforme et les partenariats divers, comme celui signé fin mai avec l’Apec, vous avez aussi mis l’accent sur l’apprentissage, via les « Journées Alternance » (2). L’opération 2018 touche à sa fin… Un premier bilan ?
S. H. : Nous sommes très satisfaits. L’opération, qui consiste en des sessions d’information-métiers et de pré-recrutement organisées clé en main pour les entreprises, a débuté en avril. Elle a permis à 250 jeunes environ de rencontrer des recruteurs de 7 à 8 entreprises. Une trentaine d’entre eux va rester chez Radio France et la Sacem devrait procéder à un peu plus d’une dizaine de recrutements.
LS : Vous avez été choisi parmi les 25 membres du Conseil présidentiel des villes (CPV), qui vient de tenir sa première réunion (3). Quel rôle comptez-vous y jouer?
S. H. : Je pourrai interpeller le président dans le Conseil. Il s’agira aussi de relayer les bonnes initiatives, présenter ce qui marche, de donner des recommandations. Il faudra surtout éventuellement sonner l’alerte, s’il faut réagir vite.
LS : Qu’avez-vous pensé des annonces du président Macron, qui a dévoilé le 22 mai, une série de mesures pour les quartiers défavorisés s’inspirant, en partie seulement, du rapport Borloo ?
S. H. : Quelques initiatives intéressantes ont été présentées, mais l’échéance véritable, c’est en juillet, quand le chef de l’Etat annoncera les mesures de son plan banlieue. C’est là qu’on pourra vraiment se faire un avis. Il y a semble-t-il une nouvelle méthodologie. Il est acté que l’on renforcera les moyens autour des acteurs de ce processus, c’est une bonne nouvelle. Mais il faudra bien choisir, et avoir en tête l’impact social de ces décisions.
LS : Le chef de l’Etat a aussi annoncé que des tests antidiscriminations allaient se tenir dans les entreprises dans les trois ans. Qu’en pensez-vous ? Quels sont les écueils à éviter ?
S. H. : Ces tests permettent de rappeler la loi. En contrepoint, et pour aider les entreprises, il faut valoriser les bonnes pratiques. C’est tout l’enjeu du « TOP10 des recruteurs » que nous organisons depuis trois ans et dont les lauréats seront révélés le 27 novembre prochain à Bercy.
Propos recueillis par David Giraud