Cette tribune a été publiée dans Le Monde dans son édition du 31 janvier 2019.
Dans le cadre de la réforme du baccalauréat et du lycée annoncée le 14 février 2018, le Conseil Supérieur des Programmes a fait l’objet d’une saisine par le ministre de l’éducation nationale le 28 février suivant afin de mettre en place de nouveaux programmes en s’appuyant sur une quarantaine de groupes d’experts. Un seul groupe a été constitué pour les sciences économiques et sociales (SES) couvrant les trois niveaux de la seconde à la terminale. Le 15 octobre 2018 ce groupe d’experts a fait connaître ses premières propositions pour structurer l’enseignement hebdomadaire des SES d’une heure et demie en 2de et de quatre heures en 1ère. Les six heures hebdomadaires prévues pour la classe de terminale sont encore en chantier.
Pour les acteurs comme pour les enseignants-chercheurs relevant de l’économie sociale et solidaire (ESS), rien de nouveau sous le soleil à la lecture de ses premières propositions. Comme hier, aucune place n’est faite ni à ses réalités comptant par exemple 10,3% des emplois au niveau national ou 3 millions de coopératives dans le monde, ni à ses modèles enseignés, par exemple, dans la dizaine de chaires ESS universitaires en France.
Cette lacune, est en contradiction flagrante avec l’objectif affiché par la lettre de saisine du 28 février qui stipule que les lycéens doivent « comprendre le monde dans lequel ils vivent ».
Dans le champ des sciences économiques et sociales, et en particulier dans l’une de ses disciplines de base, l’économie, le monde dans lequel vivent les lycéens est de plus en plus marqué par la question de la transition écologique. La COP 21 et son accord à Paris en 2016 n’ont-ils pas été l’un des grands événements de notre monde ? Les Jeux olympiques de Paris de 2024 ne s’annoncent-ils pas comme les premiers jeux écologiques de l’histoire ? Surtout, plus largement, les transitions vers les énergies renouvelables, vers les circuits courts, une mobilité douce ou une finance verte sont au cœur des enjeux de notre monde économique, social et politique actuel. Pour marquer le rôle fondamental de l’économie sociale et solidaire dans cette transition écologique, qu’elle joue déjà et qu’elle jouera demain encore plus, Nicolas Hulot avait souhaité intitulé son Ministère, le Ministère de la transition écologique et solidaire. Avant d’en démissionner, il eut souvent l’occasion de préciser, notamment devant le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, que l’économie sociale et solidaire et son mode d’entreprendre qui intègre l’économique et le social était l’une des conditions ce cette transition écologique.
La note d’orientation du Ministère de l’éducation nationale à destination des groupes d’experts d‘avril 2018 précisait aussi que « l’une des finalités de la réforme consiste à mieux accompagner les élèves dans leur parcours d’orientation » en reliant mieux les enseignements du lycée et ceux de l’université. A l‘heure où les nombreuses filières universitaires ouvertes en ESS (cf. https://riuess.org/formations/) voient affluer des étudiant.e.s cette impasse sur l’économie sociale et solidaire dans les programmes de SES est à contre-courant de la tendance forte des jeunes à s’investir dans des études et des activités qui ont du sens parce qu’attachées aussi à une utilité sociale.
L’absence de l’ESS parmi les savoirs fondamentaux en SES n’est pas une surprise. Car son intégration suppose de revoir profondément et l’enseignement de l’économie au lycée et son rapport aux deux autres blocs de connaissance, la sociologie et la science politique. Ce qui va bien au-delà d’un simple rééquilibrage des heures, évolution que les deux des pilotes de la commission d’experts, Aghion et Menger, ont beau jeu de souligner dans leur tribune du Monde en date du 22 novembre 2018.
Pour se limiter à un point, mais le plus fondamental puisqu’il ouvre le programme de Seconde en économie, qui concerne sa question de base ainsi formulée : « Qu’est-ce qu’une allocation efficace de ressources rares ? ». En contradiction encore avec la lettre d’orientation indiquant que « la culture scolaire commune est fondée sur des disciplines historiquement construites », cette question n’est pas LA question de base en économie. Elle n’est formulée ainsi qu’en 1932 par L. Robbins. Plutôt que de reléguer, comme ne le précisent pas nos deux copilotes, Amartya Sen dans le dernier chapitre de la seconde sur les regards croisés, il serait préférable de le mobiliser dès la leçon n° 1 pour introduire le débat sur la définition de l’économie. En effet, à l’encontre de Robbins, Sen propose que la question de base de l’économie soit de nature morale et politique en intégrant dès le départ la dimension de la justice.
D’ici juin 2019 et la diffusion des programmes définitifs, il nous reste cinq mois pour nous atteler à cette tâche de refonte des programmes de SES au lycée dont l’une des conséquences serait de faire une place, à l’économie sociale et solidaire permettant d’articuler la sociologie, l’histoire, le droit, les sciences politiques et la philosophie. Nous pourrons pour cela nous appuyer sur la note que l’union des employeurs de l‘économie sociale et solidaire (UDES) avait élaborée il y a deux ans dans le cadre d’une précédente saisine sur l’enseignement de l’économie au Lycée. Chiche !
Collectifs :
ADDES- Association pour le Développement des Données Economiques et Sociales
CJDES – Centre des Jeunes Dirirgeants de l’Economie sociale
CNCRESS- Comité National des Chambres Régionales de l’Economie Sociale et Solidaire
ESPER- Economie Sociale Partenaire de l’Ecole de la République
MES – Mouvement pour l’Economie Solidaire
RIUESS- Réseau Inter – Universitaires de l’Economie Sociale et Solidaire
UDES- Union des Employeurs de l’Economie Sociale